Laferrière, en leur nom : Petit traité du racisme en Amérique

KKK (DR)

« Martin Luther King a connu beaucoup d’embûches avant d’arriver à ce micro pour son discours devant la statue de Lincoln, prononcé dans la chaleur de l’été, le 28 aout 1963. Il savait qu’il allait mourir, d’une manière violente, pour être ainsi entré de son vivant dans l’Histoire (…). Ce discours devrait porter sur son dos tout un peuple, noir, blanc et rouge réunis, enfants et adultes, pauvres et riches, pour une communion qui ne durera peut-être qu’un soir, mais ce serait ça de pris aux forces obscures toujours à grimacer derrière la scène. »

Comme souvent avec Dany Laferrière, on est dans le cœur battant des choses humaines, au cœur de la tendresse et de la violence. Laferrière écrit sans emphase « théorique », dans la simplicité accomplie de son art. Le titre dit tout du « sujet » du livre, inutile de vous faire un dessin. A coups de petites séquences, prose et « poèmes » alternent, scrutant et pilonnant la bêtise et l’hypocrisie assassine du racisme en Amérique. On y croise Nina Simone, William Styron, Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre, Tupac Shakur, Toni Morisson, Bessie Smith, Mohamed Ali, John Edgar Hoover, Eldridge Cleaver, le KKK, les Black Panthers, des tyrans et des bourreaux  pas toujours blancs (Haïti), Maya Angelou, Harriet Tubman et bien d’autres encore.

Il y est question du treizième amendement de la constitution américaine qui abolit l’esclavage en 1865. Et du quatorzième, en 1868, « qui accorde la citoyenneté à toute personne née ou naturalisée aux Etats-Unis tout en interdisant toute restriction de ce droit. » Où l’on voit que la loi, quoique nécessaire, est parfois insuffisante.

A petites touches, Laferrière donne les faits, retrace les parcours, resitue les luttes et les répressions. Son livre est plein de lynchages, feutrés (les salons) ou pas, de pendaisons, de forty-one shot, d’humiliations, de viols, de tabassages à mort et de rage.

C’est un livre de combat qui ne se la raconte pas sur l’issue. Pas de moraline, pas de téléologie fumeuse. Une immense soif de justice, sans illusions et sans bassesse.

Laferrière piste les traces de la Bête dans les sables sanguinolents qui recouvrent le territoire de la Plus Grande Démocratie du Monde, née d’un génocide et ayant prospéré, comme nombre d’autres nations, sur l’esclavage.

Plutôt que de poser au chevalier blanc (si je puis dire), d’instruire un procès et d’offrir la tête des coupables au peuple (de toutes les couleurs), Dany Laferrière fait son boulot d’écrivain. Avec optimisme, presque. En tout cas, conviction :

–  « Et quelle est ta stratégie personnelle devant une telle situation ?

–  Écrire sans cesse, mais des livres. Quelqu’un a dit dernièrement qu’écrire, ce n’est rien. Ce n’est pas l’opinion des pouvoirs ou des instances supérieures. Le moindre poème les fait trembler, comme Ossip Mandelstam, même en prison, a fait trembler Staline. »

C’est signé Dany Laferrière, de l’Académie française.

Dany Laferrière, Petit traité du racisme en Amérique, éditions Grasset, janvier 2023, 252 p., 20 € 90